Géo-communs ? Chiche !

Les communs numériques géographiques ont plus que jamais le vent en poupe.

L’IGN a récemment lancé une consultation publique portant sur les « géo-communs ». Cette initiative confirme l’engouement croissant pour les communs numériques, en particulier géographiques, porté autant par les acteurs publics, privés ou encore par les citoyens engagés, cette dernière décennie.

La lettre de mission à Bertrand Monthubert, nouveau président du CNIG (Conseil National de l’Information Géographique) va dans le même sens : « Est attendue une collaboration plus étroite entre l’État, des collectivités territoriales, des entreprises et des porteurs de ‘‘communs’’ numériques que peuvent être les acteurs de la société civile. »

Dans un monde de plus en plus régi par les grandes plateformes numériques, OpenStreetMap fait figure de référence et de « zone libre ». La plus grande plateforme de données géographiques libres au Monde est en effet riche d’une communauté hyper-active (dont le nombre de contributeurs, toujours en forte croissance, dépassera bientôt les 8 millions), d’un écosystème technique foisonnant, et d’une gouvernance ouverte et propice à la collaboration.

Afin de renforcer ce mouvement d’ouverture particulièrement vivace, il pourrait être envisageable d’unir nos efforts dans plusieurs projets qui nous paraissent relever de l’intérêt général. Les projets suivants font partie des pistes qui nous paraissent les plus prometteuses.

1. Un “street-view libre et ouvert”

La création d’informations géographiques de qualité nécessite de connaître la réalité du terrain qui est en constante évolution. Les « géants du numérique » ont très bien compris cela et collectent des vues immersives du terrain qui viennent compléter les vues aériennes. Depuis plus d’une dizaine d’années, différents acteurs sillonnent dans ce but les rues et les routes de France, sans mutualisation. Le coût est élevé, sûrement plus que les prises de vues aériennes et seules quelques multinationales peuvent se permettre une couverture exhaustive. À côté de cela, des milliers de contributeurs OpenStreetMap réalisent des prises de vues.

En 2014, Mapillary a été lancé, en se basant sur une licence ouverte (CC-BY-NC passée rapidement en CC-BY-SA pour les photos et ODbL pour les traces GPS correspondantes). La communauté OpenStreetMap est rapidement devenue la première pourvoyeuse de prises de vues. Mapillary a en retour alimenté la communauté OpenStreetMap avec des API d’accès, mais aussi des jeux de données tirés de ces images par intelligence artificielle en détectant automatiquement des objets sur celles-ci.

En 2020, le rachat de la société Mapillary par Facebook a posé question au sein de la communauté OpenStreetMap. En France, certains contributeurs bénévoles autant que professionnels sont maintenant réticents à partager leurs photographies avec un tel acteur.

Des alternatives existent, comme OpenStreetView, projet libre antérieur mais non maintenu, devenu OpenStreetCam lors de sa reprise par TeleNav, puis KartaView lors de sa reprise par Grab (un équivalent Singapourien d’Uber).

Le besoin d’un commun numérique non attaché à une structure commerciale dont la stratégie peut évoluer défavorablement se fait toujours ressentir.

Au-delà d’un usage grand public bien connu, ces vues immersives sont utilisées par de nombreux acteurs publics comme les services de secours pour préparer des interventions et sont aussi une mine d’informations fraîches pour mettre à jour les bases de données géographiques ou vérifier leur cohérence. Les collecteurs possibles sont nombreux (exemple original de la Ville de Redon qui a équipé ses camions de ramassage d’ordure pour ses prises de vues) et les réutilisateurs aussi.

En complément des photos ou comme un autre projet de commun, il est également envisageable d’imaginer une mutualisation des signalements terrain (appelés “notes” dans OpenStreetMap) permettant d’améliorer les données géographiques sous-jacentes.

2. Une base routière navigable enrichie

Une base routière navigable permet de calculer des itinéraires en complétant les géométries du réseau de voirie par les règles de circulation que sont les sens uniques, les interdictions de tourner, les files de pré-sélection, les limites de poids, de vitesse autorisée, de dimensions, de type de trafic, etc.

C’est sûrement le domaine le mieux identifié où des données publiques manquent à l’appel alors qu’une forte demande existe.

La base nationale des limitations de vitesse, annoncée en octobre 2015 en comité interministériel de la sécurité routière, puis prévue par la Loi pour une République Numérique de 2016 est prévue depuis plus de 5 ans, mais celle-ci n’est à ce jour toujours pas disponible, sans que l’on sache clairement qui est chargé de la constituer, ni comment.

Cette base navigable ne doit pas se limiter à l’usage routier motorisé, mais inclure aussi le réseau cyclable, voire à terme piéton.

OpenStreetMap a ici semble-t-il une longueur d’avance avec un filaire de voirie déjà largement complété par des informations de navigabilité qui permet à plusieurs moteurs de calcul d’itinéraire de fonctionner et de fournir des services utiles au plus grand nombre.

À cette base navigable pourront s’ajouter deux autres types d’informations qui peuvent être des communs complémentaires liés :

  • les statistiques de trafic
  • l’état en temps réel

Là encore, l’absence de commun et d’anticipation sur ces besoins font que des géants du numérique sont devenus incontournables en proposant des services, dont Waze est le leader, basés sur la collecte massive de données des utilisateurs sans jamais en partager les données produites.

À terme, l’ensemble pourrait donc regrouper :

  • le filaire de voirie navigable,
  • une base des déplacements constatés (traces GPS), archivés mais aussi temps réel,
  • un complément du filaire avec les statistiques de trafic constaté (qui peut être issu des traces GPS et d’autres sources).

Toutes ces données seraient utiles, encore une fois, pour les services de secours, mais aussi pour de nombreuses analyses sur les déplacements, les transports, la proximité des services et bien sûr des réutilisations innovantes encore non imaginées à ce jour.

Conditions de succès

La mise en œuvre de communs numériques nous semble souvent mal appréhendée. Il nous paraît utile de rappeler les conditions de mise en œuvre utiles au succès d’un commun numérique :

  1. une communauté ouverte, à la gouvernance horizontale, où les règles sont claires et s’appliquent à tous. La seule barrière à l’entrée est celle du respect de ces règles et en particulier la licence qui doit favoriser l’extension du commun (l’ODbL a bien sûr notre faveur).
  2. un commun agile : pas de grand plan initial mais une idée de départ paraissant souvent utopique avec une adaptation au fur et à mesure du chemin parcouru.
  3. community first : même en ayant un objectif final de production de données, l’approche adoptée doit se focaliser sur la communauté avant tout. Animer ses membres et produire des outils pour faciliter son implication doivent être des sujets centraux.
  4. la publication sous licence libre des briques logicielles produites et l’amélioration itérative et agile, centrée sur l’utilisateur. D’une manière générale, les “principes pour un développement numérique” (voir https://digitalprinciples.org/fr/principles) nous paraissent des bonnes pratiques à suivre.
  5. une réalisation portée par une équipe interne à chaque participant, afin d’en maîtriser véritablement la réalisation. L’engagement dans un commun doit être direct car peu délégable ou externalisable.
  6. la création de véritables services utiles basés sur le commun. C’est peut-être le point le plus important et le véritable indicateur de succès. Par exemple, le succès de la Base Adresse Nationale est ainsi mesurable en mesurant le nombre d’appels à son API de géocodage.

On oublie bien souvent qu’au-delà de tous les principes, les communs numériques sont avant tout une implication de tous les jours, à l’exemple de la communauté OpenStreetMap. Il est d’ailleurs toujours utile de découvrir les nombreux outils de communication utilisés par la communauté française et internationale.

Il semble enfin utile de rappeler l’incroyable effet levier que permet la plateforme OpenStreetMap pour les communs numériques liés aux données géographiques.