Un double numérique du réseau de transport électrique français

Dans la continuité d’un précédent article, la communauté OpenStreetMap française a franchi en début d’année une étape importante dans la description numérique du réseau de transport électrique haute tension entre 400 000 volts (400 kV) et 225 000 volts (225 kV).

Depuis 2008, plusieurs contributeurs ont effectué un travail de fourmi pour décrire finement ces infrastructures partout en France. Cela au point d’avoir pu assembler cette connaissance dans un ensemble routable, c’est-à-dire de retracer les chemins suivis par l’électricité sur le réseau. Tentons de voir comment et quelles sont les possibilités offertes par cette production.

Le recensement des infrastructures de transport électrique a commencé dès 2008 et les contributeurs ont su exploiter de nombreuses sources différentes

Fort de 50 000 contributeurs en France dont 300 personnes actives tous les jours, OpenStreetMap est une base de données mondiale permettant de décrire le monde qui nous entoure. Le projet s’appuie sur et fait évoluer continuellement son modèle attributaire pour classifier de multiples sortes d’objets visibles sur le terrain. L’existence de cette plateforme depuis 2004 rend possible de nombreux usages comme les rendus (carto)graphiques et les requêtes ciblées. La sémantique attributaire utilisée pour décrire les réseaux électriques s’est étendue suite à plus d’une dizaines de propositions d’évolutions depuis 2010, votées par la communauté au niveau mondial.

Les données que nous proposons contribuent à l’amélioration de l’efficacité opérationnelle (itinéraires routiers comme électriques, connaissance de l’existant, consolidation de relevés terrain) mais peuvent aussi fiabiliser des études d’impact ou d’interaction avec l’environnement : sensibilité climatique des ouvrages en plaine ou zone forestière. Certains rendus 3D comme celui de F4-map, pionnier, intègrent les ouvrages existants dans le paysage.

Une description physique

Le réseau électrique est composé de lignes et de sites pour permettre d’acheminer l’électricité entre les points de production de plus en plus décentralisés vers des centres de consommation. La plupart des éléments qui le constituent sont visibles sur le terrain et sont à ce titre publiables dans OpenStreetMap. Nous nous sommes attachés à non seulement décrire les lignes et leurs pylônes supports mais aussi les postes où est aiguillée l’énergie. Sortes de tableaux électrique géants, ils contiennent des équipements particuliers pour acheminer l’énergie sur le réseau.

Contrairement à une représentation simplement topologique où les lignes convergent vers un unique point dans les postes, nous souhaitions décrire les équipements situés à l’intérieur comme ci-dessus à la Vaupalière près de Rouen. Ainsi ce sont plus de 389 km de jeux de barres 400 kV et 225 kV qui ont été tracés depuis 2013 et encadrés par 194 km de portiques permettant l’ancrage des lignes aboutissant aux postes.

Au delà des 35 200 km de lignes aériennes, 1 550 km de câbles souterrains, OpenStreetMap décrit également (chiffres au 04/2020) :

  • 7 690 sectionneurs
  • 3 185 disjoncteurs
  • 300 transformateurs 400 kV
  • 955 transformateurs 225 kV

Dans un premier temps, les contributions ont été faites sur les vues aériennes de Bing, d’orthophotographies locales libres et de la BD Ortho plus récemment. Ces dernières ont été utilisées dans le cadre d’un partenariat avec l’IGN qui se montre redoutablement utile ici.

Des données géographiques exhaustives ont été publiées en 2017 par RTE, disponibles sur la plateforme ODRE. Cela a permis une complétude plus rapide et une idée plus précise de ce qu’il restait à faire. En outre cela permettait de décrire plus fidèlement le réseau souterrain.

Les données officielles publiées sont utilisées par nos outils de contrôle qualité, comme Osmose, pour orienter les contributions. Les contributeurs identifient les manques constatés automatiquement entre OpenStreetMap et les données ouvertes, comme dans beaucoup d’autres domaines. Une dizaine d’analyse thématiques permettent d’ajouter les pylônes manquant, solutionner les problèmes de topologie et d’autres points.

Interface du contrôle qualité proposé par Osmose avec des propositions de corrections
Évolution entre 2012 et 2020 de la population de pylônes électriques entre différents exploitants, dont RTE

Simplification de géométries

Les capacités topologiques d’OpenStreetMap ont permis de simplifier certaines géométries de liaisons souterraines lorsque cela était pertinent: plusieurs liaisons construites dans la même fouille sont regroupées en un seul vecteur muni des attributs adéquats pour indiquer la présence de plusieurs circuits. Il s’agit du même formalisme que les lignes aériennes permettant ensuite un rendu adapté.

Les mêmes informations sont disponibles sur l’un et l’autre des formalismes. Limiter la quantité de géométries, lorsque celles-ci décrivent le même itinéraire, permet sur OpenStreetMap, des traitements plus rapides et de limiter les collisions avec d’autres objets de surface lors d’éditions ultérieures.

230 km de vecteurs ont été simplifiés de cette façon jusqu’à maintenant.

Une description logique

Connaître les lignes qu’elles soient aériennes ou souterraines ne suffit pas pour déterminer les chemins de l’énergie. Certaines lignes supportent en effet plusieurs circuits indépendants. Les circuits sont des continuités métalliques de 3 conducteurs entre deux nœuds du réseau. Les lignes de la photo ci-dessous supportent par exemple deux circuits chacune alors que leurs tracés ne consistent qu’en une unique ligne vectorielle.

Lignes électriques supportant plusieurs circuits distincts /
François Lacombe CC BY-SA 4.0

Dès 2015, des relations logiques entre les postes en utilisant les lignes physiques comme support de géolocalisation pour un rendu sur la carte se sont avérées utiles. C’est une description identique à ce qui est fait sur les réseaux de transport en commun : plusieurs lignes de bus peuvent emprunter la même rue.

Aujourd’hui ce sont plus de 1 500 relations qui sont disponibles. Elles constituent véritablement le double numérique des réseaux 400 kV et 225 kV sur lequel il est possible simuler l’écoulement de l’énergie à l’aide de propriétés électrotechniques, d’algorithmes et de données dynamiques adaptées disponibles auprès d’autres communautés.

Représentation des circuits qui à cette échelle s’apparentent à la cartographie des lignes physiques du réseau de transport / OpenStreetMap & contributeurs

Il est possible de retrouver les 1 500 relations via une requête Overpass-Turbo à votre disposition.

Vision à 360°

Décrire les équipements techniques à l’intérieur de sites industriels à ciel ouvert comme la plupart des postes électriques est aussi l’occasion d’ajouter les objets habituels d’OpenStreetMap.

Entre 2008 et maintenant, nous avons recensé les éléments suivants (chiffres au 04/2020) :

  • 523 km de voirie privée
  • 422.3 hectares de pelouse et 10 hectares de foret
  • 450 arbres
  • 46 km de murs, y compris les parois anti-incendie
  • 273 km de clôtures grillagées (hors double enceinte), 201 km de murs d’enceinte

Quelques exemples de sites comme Creney dans l’Aube ou La Vaupalière dans la banlieue de Rouen sont particulièrement complets.

Détails sur la végétation

La cartographie des zones végétales à l’intérieur de ces sites fait écho aux projets de réduction des usages des produits phytosanitaires ou fauchages pastoraux sur lesquels l’exploitant communique parfois. OpenStreetMap permet une classification de la végétation et une mise en valeur ciblée sur les pelouses, broussailles et forêts.

Si la surface totale des postes 400kV ou 225 kV est de 2 571 ha en France, 16% de cette surface est couverte de pelouse, soit 422.3 ha. C’est l’équivalent de 512 terrains de foot de 8 250 m2.

Mise en valeur des surfaces végétalisées entre forêt et pelouse au poste de Courtry en Ile de France / OpenStreetMap & contributeurs

Perspectives et extractions

Les données produites suite à nos contributions sont d’ores et déjà disponibles sur la plateforme Data.gouv de l’Etalab. Plusieurs jeux de données détaillent les différents composants du réseau que l’on peut ensuite réassembler dans un SIG sous certaines conditions, en tenant compte des obligations de la licence ODbL. Ils complètent ceux déjà disponibles sur la plateforme ODRE maintenue par les exploitants du transport d’énergie. Parmi eux, on citera :

Il est par ailleurs possible d’extraire plus de données via l’outil Overpass-turbo en écrivant une requête dans le langage adapté.

Le site https://www.openinframap.org montre les infrastructures habituellement cachées et permet de parcourir les réseaux décris sur OpenStreetMap.

Des données pour aller plus loin

Si le contenu proposé est déjà conséquent, OpenStreetMap complète sans cesse son modèle attributaire. De nouvelles données pourraient être utiles pour tenir la base de données à jour et décrire toujours plus d’éléments. Concernant les aspects statiques du réseau, nous pensons que les connaissances suivantes sont pertinentes :

  • Catalogue des supports
  • Puissances et technologies des transformateurs
  • Technologies des appareils de sectionnement
  • Moyens de compensation self/condensateurs/CSPR

Plusieurs années ont été passées à travers le pays pour découvrir ces infrastructures, prendre des milliers de photos et de relevés terrains. La concentration de ces informations sur une même plateforme sera certainement utile à une meilleure compréhension du fonctionnement de ces réseaux. D’autres sujets sont également à explorer sur la présentation des risques technologiques et la gestion des crises. Quoi qu’il en soit ces données permettent d’y associer les éléments présents dans l’environnement direct des installations, ce qui est rarement possible ailleurs.

Enfin, nous prévoyons de continuer à décrire les supports des lignes aériennes avec de nouveaux attributs qualifiant les armements et topologies aux abords des pylônes. Les jumeaux numériques des réseaux <100 kV restent à construire. La tâche est grande tant ces réseaux sont capillaires, rejoignez-nous pour y participer.

François Lacombe / @InfosReseaux